Vendredi 9 Janvier
Je n'avais pas les mots... voici ceux de Vincent !
"Cher terroriste,
Tout d’abord laisse-moi te féliciter
chaleureusement. Surgir accompagné d’un seul ami en plein cœur du repère de
l’ennemi, pour y combattre valeureusement une horde de journalistes et de
dessinateurs ultra-dangereux a dû te demander un énorme courage. A deux contre
quinze ou vingt personnes, vous avez triomphé d’une force bien supérieure en
nombre, ce qui accroit encore plus ton mérite, s’il en était encore besoin.
Le Dieu dont tu te réclames doit à l’heure
qu’il est être très fier de toi et se prépare déjà à t’accueillir avec tous les
honneurs que tu mérites. Moi aussi j’admire ta détermination, cher terroriste,
ainsi que ta volonté sans faille et ta capacité à aller jusqu’au bout de tes
idées dans un débat d’idée libre et tolérant.
L’ensemble de tes coreligionnaires te remercie
également. En effet, cher terroriste, tous les musulmans de France vont être
ravis de se voir identifiés à ton acte glorieux. Leur côte de la popularité
auprès de l’ensemble de leurs compatriotes, déjà exceptionnelle, va encore
augmenter jusqu’à atteindre des sommets jamais vus encore.
Non, je n’y arrive plus… J’ai essayé pourtant…
J’ai essayé de t’écrire des choses gentilles, et d’être un peu de ton côté.
J’ai essayé de te soutenir, parce que tu dois te sentir seul aujourd’hui, cher
terroriste, tout le monde à l’air de t’en vouloir et d’être contre toi.
Je les comprends un peu ces gens qui t’en
veulent. Aujourd’hui, tu m’as privé de Cabu que j’ai connu enfant quand il
dessinait Dorothée et ses amis. Tu m’as privé de Charb que j’ai découvert pour
la première fois quand j’étais ado et qu’il illustrait le magasine du cinéma
Utopia à Pontoise. Tu m’as privé de Wolinski qui dessinait de superbes filles à
poil, ce qui me permettait de me rincer l’œil tout en passant pour un mec
cultivé qui lisait le journal… C’est à une partie de moi que tu t’es attaqué
aujourd’hui. Et pour ça, cher terroriste, je t’en veux un peu.
Tu m’as aussi pris Maris aussi, lui il parlait
d’économie. C’était tout de suite plus dur à comprendre. Mais il en parlait
différemment, avec une autre façon de voir. Cette façon de voir estampillée
Charlie. Cette façon de voir libre et alternative. Cette façon de voir avec
laquelle on n’était pas toujours d’accord mais qu’on aimait lire… parce que
mine de rien, cher terroriste, lire quelqu’un qui n’est pas d’accord avec nous,
ça rassure. Parce que cela voulait dire qu’on pouvait s’exprimer librement, de
manière différente des autres, sans n’avoir rien à craindre. En t’attaquant à
Charlie, tu t’es attaqué à cette liberté d’expression. Et pour ça, cher
terroriste, je t’en veux beaucoup.
J’aurais plein d’autres reproches à te faire.
Je pourrais te reprocher de justifier tes actes derrière des écrits religieux
centenaires auxquels tu n’as visiblement rien compris et que tu es incapable de
transposer à notre époque. Je pourrais te reprocher de jeter le discrédit sur
l’ensemble d’une population, qui est – à l’exception des quelques excités dans
ton genre – opposé à tes idées et à tes actes, mais qui pourtant va devoir les
assumer pendant que toi tu te cacheras lâchement. Je pourrais te reprocher de
t’être attaqué à un journal qui n’attaquait pas l’Islam mais la lecture que tu
en faisais. De la même manière qu’il n’attaquait ni le Judaïsme, ni le
Christianisme ni aucune religion, mais seulement les excès commis en leur nom.
Si tu avais mis de côté ta haine et lu ce journal, tu l’aurais peut être
compris... Enfin, je pourrais te reprocher de faire le jeu de tes vrais
ennemis, qui sont également les miens. Les xénophobes, islamophobes,
antisémites et compagnie doivent déjà se frotter les mains car ils savent
qu’ils vont pouvoir utiliser ton acte pour justifier leur haine. Mais encore
une fois, ce n’est pas toi qui va devoir leur faire face. Toi, tu te caches…
Et pour tout ça, cher terroriste : je
t’emmerde ! Oui, tu as bien lu : je t’emmerde, je t’emmerde et je t’emmerde !
Je t’emmerde, certes affectueusement parce que je suis quelqu’un de gentil au
fond, mais je t’emmerde quand même !
Et pour te montrer que je t’emmerde, cher
terroriste, je vais faire… rien du tout !
Je vais continuer à vivre normalement. Je vais
prendre l’avion, le train, le métro quand j’en aurais envie (c’est-à-dire
jamais) et besoin (déjà un peu plus souvent). Je vais continuer à acheter les
journaux et les livres dont j’aurais envie. Je vais continuer à me bourrer la
gueule au bar, parce que j’aime bien ça. Je vais continuer à faire tout ce que
je faisais avant parce que tu rêves d’avoir une influence sur la vie des
autres, et pour rien au monde je ne te ferais ce plaisir
Avec l’expression de mon mépris le plus
distingué, cher terroriste, je te crache à la gueule."
Par Vincent Lécuyer